En buvant un simple verre d’eau du robinet, on pourrait croire que l’on ingère uniquement ce liquide incolore, sans arrière-pensée. Mais derrière sa transparence rassurante se cache une réalité troublante : chaque semaine, selon une étude de la WWF (2019), nous avalerions l’équivalent d’une carte de crédit de plastique – environ cinq grammes – à travers notre alimentation, notre eau et même l’air que nous respirons. Cette intrusion silencieuse dans notre quotidien porte un nom : les microplastiques.
Une pollution microscopique mais omniprésente
Les microplastiques sont des fragments de plastique de moins de 5 millimètres. Quant aux nanoplastiques, encore plus insidieux, ils mesurent moins de 1 micromètre. Invisibles à l’œil nu, ils se forment par la dégradation des déchets plastiques sous l’effet des rayons UV, de l’abrasion mécanique et du temps. Ces particules se retrouvent dans tous les écosystèmes : océans, sols, atmosphère… mais aussi dans le corps humain.
On les détecte aujourd’hui dans les selles, les poumons, le placenta, et plus récemment, dans le sang. Une étude menée par des chercheurs néerlandais (Leslie et al., 2022) a démontré pour la première fois la présence de plastique dans le sang humain, avec des fragments de polymères comme le PET (polyéthylène téréphtalate) et le polystyrène. Cette découverte a marqué un tournant : si le plastique est présent dans notre système sanguin, il peut théoriquement atteindre n’importe quel organe.
Comment ces particules pénètrent-elles dans notre corps ?
Les voies d’exposition sont multiples. L’eau potable – qu’elle provienne de bouteilles en plastique ou du robinet – en contient des traces. Les aliments aussi : poissons et fruits de mer, sel de table, miel, légumes arrosés à l’eau contaminée. Même l’air intérieur, saturé de fibres plastiques issues des textiles synthétiques, est une source d’inhalation.
Le problème, c’est que notre organisme n’a pas évolué pour métaboliser ce genre de matière. Une fois dans le corps, que deviennent ces particules ? Sont-elles simplement évacuées ? Ou s’accumulent-elles, provoquant des effets toxiques ?
Une science encore émergente mais inquiétante
Il faut le dire d’emblée : la recherche est encore en phase exploratoire. Les effets des micro- et nanoplastiques sur la santé humaine ne sont pas encore totalement élucidés. Toutefois, plusieurs signaux d’alerte s’accumulent.
Une étude publiée dans Environmental Science & Technology (Wright & Kelly, 2017) suggère que l’ingestion de microplastiques pourrait induire des effets inflammatoires, perturber la barrière intestinale, et altérer le microbiote. D’autres travaux, menés sur des modèles animaux, montrent des perturbations métaboliques, des effets neurotoxiques, et des réponses immunitaires exacerbées (Lu et al., 2016 ; Jin et al., 2019).
Quant aux nanoplastiques, leur petite taille leur permettrait de franchir des barrières biologiques – intestinale, placentaire, hémato-encéphalique – et de s’accumuler dans des organes sensibles. Une revue systématique par Bouwmeester et al. (2015) évoque un risque potentiel de cytotoxicité, de génotoxicité, et d’interférence avec les fonctions hormonales.
Certains plastiques agissent en effet comme des perturbateurs endocriniens. Le bisphénol A (BPA), présent dans de nombreux contenants alimentaires, est bien connu pour ses effets délétères sur la fertilité, le développement du cerveau, et les systèmes hormonal et immunitaire. D’autres additifs chimiques (phtalates, retardateurs de flamme bromés) peuvent également migrer hors du plastique et entrer dans l’organisme via les microplastiques.
Une pollution environnementale… aux effets systémiques
Au-delà de la santé individuelle, la présence massive de plastique dans l’environnement affecte l’ensemble des chaînes alimentaires. Les microplastiques absorbent des polluants organiques persistants (comme les PCB ou les dioxines), qui s’accumulent dans les tissus vivants et remontent la chaîne trophique jusqu’à l’homme.
Cette bioaccumulation soulève des enjeux de santé publique et d’équité : certaines populations côtières ou plus exposées aux pollutions industrielles pourraient souffrir davantage des effets de cette contamination invisible.
Que faire ? Des gestes concrets pour limiter l’exposition
Même si les microplastiques sont partout, il est possible d’en réduire significativement l’exposition personnelle :
- Éviter le plastique jetable : remplacer les bouteilles en plastique par des gourdes en inox, utiliser des sacs en tissu, et refuser les couverts en plastique.
- Privilégier la cuisson sans plastique : éviter de chauffer les aliments dans des contenants plastiques, notamment au micro-ondes.
- Limiter les vêtements synthétiques : favoriser le coton, la laine, ou d’autres fibres naturelles. Laver ses habits en polyester à basse température et dans des filets spéciaux pour retenir les microfibres.
- Utiliser des filtres à particules : certaines carafes ou dispositifs domestiques permettent de filtrer les microplastiques présents dans l’eau du robinet.
- Ventiler son intérieur et passer l’aspirateur régulièrement : car l’air contient aussi des particules issues des textiles, tapis, et plastiques ménagers.
Ces gestes, bien qu’individuels, participent à une prise de conscience collective nécessaire pour faire évoluer les politiques publiques.
Vers une réglementation plus stricte ?
Face à ces découvertes préoccupantes, des appels se multiplient pour renforcer la régulation. En 2023, l’Union européenne a proposé d’interdire les microplastiques ajoutés intentionnellement dans les produits cosmétiques, les détergents ou les fertilisants. Une avancée importante, mais encore insuffisante face à l’ampleur du problème.
La recherche appelle désormais à une surveillance plus systématique de l’exposition humaine, à travers des biomarqueurs dans le sang, les urines ou les tissus. Car ce que l’on ne mesure pas reste dans l’ombre, et l’ombre du plastique semble s’étendre chaque année davantage.
Une responsabilité partagée
L’histoire du plastique est celle d’un progrès devenu piège. Sa légèreté, sa résistance et son faible coût ont conquis tous les secteurs de la vie moderne. Mais ce succès a un revers : celui d’un monde saturé de particules indestructibles, qui reviennent à nous sous forme de poussières invisibles. Il est encore temps d’agir – individuellement et collectivement – pour inverser la tendance.
Références scientifiques
- Leslie, H. A., et al. (2022). “Discovery and quantification of plastic particle pollution in human blood.” Environment International, 163, 107199.
- Ragusa, A., et al. (2021). “Plasticenta: First evidence of microplastics in human placenta.” Environment International, 146, 106274.
- Wright, S. L., & Kelly, F. J. (2017). “Plastic and Human Health: A Micro Issue?” Environmental Science & Technology, 51(12), 6634–6647.
- Lu, Y., et al. (2016). “Uptake and Accumulation of Polystyrene Microplastics in Zebrafish (Danio rerio) and Toxic Effects in Liver.” Environmental Science & Technology, 50(7), 4054–4060.
- Bouwmeester, H., et al. (2015). “Potential risks of nanomaterials: a review carried out for ECETOC.” Particle and Fibre Toxicology, 12(1), 15.
